Religion et entreprise : le manuel d’utilisation

L’arrêt Baby Loup n’en finit pas de faire parler de lui. Au-delà d’une solution jurisprudentielle certaine, les deux arrêts rendus le même jour par la Cour de cassation (Cass. Soc. 19 mars 2013 n°12-11690 – Cassation ; 11-28845 – Rejet), traite de la question délicate et d’actualité de la religion au sein de l’entreprise et de l’exécution du contrat de travail.

Ces deux solutions jurisprudentielles, assorties d’une forte publicité (FS-P+B+R+I), sont un exemple de l’application de l’article L 1121-1 du Code du travail portant sur la mise en œuvre de deux principes fondamentaux : liberté de conscience et de religion et principe de laïcité.

Revenons tout d’abord sur les faits objets de ces deux arrêts.

Cass. Soc. 19 mars 2013, n°12-11690 : L’affaire « Baby loup » :

Une salariée a été engagée en qualité d’éducatrice de jeune enfant, au sein d’une garderie gérée par l’association Baby Loup (personne morale de droit privée, exerçant des missions d’intérêt général).

Suite à un congé paternité et congé parental, la salariée a été convoquée par lettre du 9 décembre 2008 à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire, et licenciée le 19 décembre 2008 pour faute grave aux motifs notamment qu’elle n’a pas respecté les dispositions du règlement intérieur de l’association en portant un voile islamique sur son lieu de travail.

L’affaire fut portée devant le Conseil de Prud’hommes de Mantes-La-Jolie puis devant la Cour d’Appel de VERSAILLES.

Le CPH et la CA de VERSAILLES ont confirmé le licenciement pour faute grave, considérant qu’en raison des statuts de l’association gérant la crèche, et de sa finalité proche d’un service public (action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé qui œuvre pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes du quartier, qu’elle s’efforce de répondre à l’ensemble des besoins collectifs émanant des familles, avec comme objectif la revalorisation de la vie locale, sur le plan professionnel, social et culturel sans distinction d’opinion politique ou confessionnelle), le principe de laïcité développée par cette association s’appliquait à son personnel et pouvait justifier une interdiction du port du voile islamique sur le lieu de travail.

Cass. Soc. 19 mars 2013 n°12-11690 :

Les faits de cette affaire rendue sont assez similaires.

En l’espèce, une salariée embauchée par contrat de travail à durée indéterminée le 4 septembre 2001 par la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis en qualité de technicienne prestations maladie a été licenciée pour cause réelle et sérieuse car elle portait un foulard islamique, violant ainsi les dispositions du règlement intérieur de la caisse primaire d’assurance maladie.

La salariée licenciée agit en justice, soutenant que son licenciement est nul, soutenant que son licenciement constitue une discrimination.

Une fois encore, la Cour d’Appel confirme le licenciement prononcé.

Ces deux arrêts rendus le même jour par la Cour de cassation, posent en apparence des solutions divergentes.

En réalité la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé les contours du principe de laïcité, dans ces deux affaires de licenciement d’une salariée aux motifs qu’elle portait un voile islamique laissant voir le visage mais couvrant les cheveux et contrevenait ainsi à une disposition du règlement intérieur de l’employeur, comme le précise bien le communiqué du 19 mars 2013 de la Cour de cassation.

Analysons la solution rendue.

Dans un premier temps, il convient de noter que les deux solutions ont été rendues au visa de l’article L 1121-1 du Code du travail qui énonce que:

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Dès lors, les solutions sont différentes dans ces deux cas d’espèce, car le statut des deux sociétés divergent également.

La Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine Saint-Denis est un service public, ainsi en cette qualité, cet organisme est soumis à des contraintes spécifiques car réalisant des missions de service public.

Dès lors, il apparait que la disposition du règlement intérieur ayant servi de base au licenciement est justifiée par la nature de la tâche à accomplir (en l’espèce une mission de service public) et proportionnée au but recherché. Proportionnée, car il existe certes une atteinte au principe de liberté de conscience et de religion qui en l’espèce est contrebalancé par le principe de laïcité applicable à tout du service public.

Dans l’affaire « Baby Loup », l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Versailles est cassé en application du même visa.

Cette différence s’explique car dans cette hypothèse, la salariée était embauchée dans une crèche qui bien qu’exerçant une mission d’intérêt général est une personne privée qui gère un service public. Dès lors le principe de laïcité, n’est pas applicable en l’espèce, puisque l’association n’est pas une personne publique, mais une personne morale de droit privée.

Ainsi, dans la suite de ce raisonnement, la Haute juridiction a annulé l’arrêt de la CA de VERSAILLES, car la restriction prévue dans le règlement intérieur de l’association était disproportionnée par rapport au but recherché, puisque non contrebalancée par un principe de laïcité, puisque l’association BABY LOUP n’est pas un service public.

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